« Ce soir-là, je suis allé sur les quais et j’ai grimpé à l’intérieur d’une des anciennes grues qui surplombent la zone de chargement. Tout ce que je voulais, c’était rester dehors et contempler les étoiles. De là-haut, on les voyait toutes et quand on regardait vers le bas, en direction de la côte, on distinguait les endroits où les lumières étincelaient et clignotaient sur l’eau comme dans les vieux films, motifs géométriques parfaits qui disparaissent un instant quand on posait les yeux dessus, puis se remettaient à scintiller, blancs et rouge cerise avec un éclat d’or par-ci par-là, venu de plus loin. Mais, ce soir-là, le vent avait décidé de tourner et, le temps que j’arrive au sommet de la grue, un énorme orage a éclaté au-dessus de moi, éclairs, puis tonnerre fracassant, puis éclairs de nouveau – pas simplement des lueurs, mais le ciel tout entier virant au doré livide au-dessus de la mer où tout se reflétait instantanément. C’était magnifique et dangereux, et j’avais beau me dire que je risquais de finir à l’état de frite carbonisée, tout là-haut, au milieu de tout ce métal, je n’aurais pas envisagé de descendre. MIeux valait mourir comme ça qu’au détour de je ne sais quelle embuscade mesquine, entre les mains de la bande de Jimmy, une lame dans les tripes, peut-être celle d’Eddie, et moi qui m’affale par terre comme Rivers, en saignant, jurant et sanglotant sur mon sort, animal perdu, mourant dans le regard des autres. SI tu dois mourir, meurs seul, au sommet d’une grue, et laisse la Nature se charger de te tuer, avec grâce et beauté, avec la somptueuse cruauté du hasard. Sauf que je ne suis pas mort ; je suis resté installé là-haut et j’ai regardé le feu d’artifice le plus grandiose que quiconque verrait jamais, les éclairs fusant à quelques centimètres, apparemment, le tonnerre résonnant dans mes os et mes muscles. Ça défiait toute description. Quand ç’a été fini, je me foutais éperdument de tout. S’il fallait, j’éliminerais les gars de Jimmy un par un, Eddie comprise, ou bien je le débusquerais lui et le découperais en lambeaux sous les yeux de sa bande. Je m’en fichais. J’aurais tué n’importe qui ce soir-là, à cause de l’orage? Parce que je savais que, si j’avais ma place où que ce soit, c’était là. Pas au sein de leur bande, mais parmi les éclairs et le tonnerre. La pluie noire. Le métal froid. Le ciel. »
John Burnside, Scintillation, Métailié, 2011, p.210-211
Je tiens à remercier La Viduité pour son article m’ayant intrigué jusqu’à repousser les tas de livres à lire et découvrir celui-ci.
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Image de couverture : Crane Storm | Caleb Roenigk | Flickr
Merci pour la référence. Burnside est un auteur à vraiment découvrir. Il revient d’ailleurs avec un nouveau roman, dont je vous parle bientôt, en septembre.