Comme elles se sont multipliées mes limules ! Elles ont pris leur envol. Elles parcourent de leurs pattes d’arthropodes les merveilleux nuages. Elles sont nombreuses, si nombreuses, faisant pleuvoir des mots, des mots, des mots.
Somnambule du jour (2016)
Anise Koltz
« Poèmes choisis », pages arrachées.
Les notations d’Anise Koltz, en vers courts, tranchants, manquent à mes yeux de ce lâcher prise et cette sensualité de l’intelligence qui emporterait la mise (mon âme, donc). Je ne me damnerais pas pour cette poésie, malgré ce qu’elle a de simple et précis. Je trouverais ailleurs des échos à mon somnambulisme éveillé (Pontalis, ou les Variations nocturnes de Schefer, cf infra).
Défions l’augure (2018)
Hélène Cixous
De tels livres sont des mystères, des énigmes, des indéfinissables. Entre l’autobiographie, le journal intime, l’essai, le commentaire, Hélène Cixous ne cesse de tisser des lignes entre toutes ces dimensions, et araignée merveilleuse, de sauter d’une toile à l’autre.
L’inconvénient est qu’un lecteur ou une lectrice ne connaissant rien à Hélène Cixous se trouverait perdu dans un labyrinthe de pensées, de considérations, où il lui faut le fil de ses autres livres, ne serait-ce que pour suivre l’histoire familiale d’Hélène Cixous.
N’empêche, cette langue à nulle autre pareille, cette pensée allègre est toujours un plaisir, le plaisir de se perdre à penser.
Souriez vous êtes gérés (2010)
Livre de Camille Leboulanger, Ayerdhal, Gulzar Joby, Alain Damasio, Philippe Curval, …
J’ai du mal avec l’anticipation à proprement parlé, de l’anticipation qui nécessairement a besoin de grossir le trait, d’exagérer les situations contemporaines, des technologies de contrôle pour mettre en exergue notre servitude volontaire. A vrai dire, les nouvelles, d’auteurs connus ou moins connus, ne m’ont pas marqué d’un sourire narquois comme ça aurait dû.
La nuit est encore jeune (2017)
Catastrophe (Collectif)
Je dirais prochainement (j’espère) les grandes échappées que promettent ce livre collectif, générationnel, tentant de dire sa sensibilité au monde, sa situation de fin (du monde, des grands récits), et sa philosophie (apocalypse mélancolique et joyeuse à la fois).
Le neutre (2002)
Roland Barthes
Ce sont vraiment les notes de cours de Barthes. Avec les flèches, les marges et les références. Mais on suit remarquablement bien le fil de la pensée de Barthes où le neutre se déploie : dans la fatigue, le silence, la délicatesse, le sommeil, l’image, la retraite, l’arrogance, le wou-wei, l’androgyne, l’effroi.
Le neutre est ce qui défait les paradigmes, les oppositions. Le neutre est un mantra merveilleux, entre l’extrême négativité du Neutre blanchotien, et les entrelacs des déconstructions derridiennes.
Les Furies et les Peines: Cent deux sonnets (2011)
Francisco De Quevedo
Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos (soyons précis), était un politicien. Et un poète, mais ne croyant pas trop à la postérité de ce passe-temps littéraire, et pourtant, travaillant avec génie à composer des sonnets dont la perfection restent une référence, faisant saliver Borges, sa médaille d’or des tigres dans la bouche.
Si les poèmes « métaphysiques » ont un grand style, il y a une patine, un vernis où il manque pour moi des craquelures pour pouvoir m’y introduire, faire jouer à plein mon imagination.
Les Affects de la politique (2016)
Frédéric Lordon
Être c’est être affecté. Spinoza est le Guide. Lordon prévient, ça va être dur à lire, mais réjouissant.
L’album de l’art à l’époque du musée imaginaire (2013)
Georges Didi-Huberman
Didi-Huberman vient faire des conférences au Louvre et règle le sort de Malraux avec ses « albums d’art ». On sent le côté vaccine : certes Malraux a étendu le champ de l’art au-delà de l’Europe. Il nous a confronté aux chefs d’œuvres du monde entier. Certes. Comme d’autres modernes. Mais le reste du projet est plus « bien pensant » que « bien pensé » pour reprendre la ligne de jugement de Didi-Huberman. On le sait, Malraux se situe contre les historiens de l’art (mais composant son livre grâce à des experts) prône un « choc esthétique », mais mise en scène auratique (noirs et blancs très marqués) qui tient plus de la pub qu’à une mise en crise de notre jugement. Les confrontations rassemblent, effacent les différences, les spécificités, les contextes d’apparitions, et tout ce qui fait penser dans l’image.
Malraux, c’est l’anti-Warburg, l’anti-Bataille, l’anti-Benjamin si chers à Didi Huberman.
C’est très réjouissant, très fluide à lire et résume pas mal de la philosophie, de la vision de l’art défendue par Georges Didi Huberman. « Bien pensé ».
Frontière barbare, tome 1 (2013)
Serge Brussolo
Je n’ai pas pu le finir. L’avantage avec Brussolo c’est que l’on voit très vite si l’idée est géniale (relire le mythique Syndrome du scaphandrier, ou les nouvelles de Vues en coupe d’une ville malade), ou bien inepte. Ici l’exovétérinaire, les Néovikings, les conflits qui se règlent tous dans des salles de plusieurs kilomètres en sous-sol, ne m’ont pas convaincu. Si l’on rajoute que l’écriture est très basique, il faut vraiment se forcer. Or j’ai tant de choses à lire comme on voit.
Le congrès de littérature (1997)
César Aira
Un livre fou. Court et incisif. Les propositions acides, littéraires, amoureuses de cet écrivain traducteur, généticien à ses heures perdues et voulant ainsi cloner Carlos Fuentès lors d’un congrès de littérature progressent jusqu’à un dénouement absurde. Absurde mais beau. Un mélange du Lard Bleu de Sorokine et de La Mouche de Cronenberg.
C’est avec joie que je découvre cette génération argentine post-Borges/Cortazar : Rodrigo Fresán, Pablo Katchadjian, Ricardo Colautti, César Aria, Marianna Enriquez, Ariadna Castellarnau.
Marée basse, marée haute (2013)
Jean-Bertrand Pontalis
Un Pontalis de temps en temps, pour atténuer le fracas du monde. Pour écouter le flux et le reflux des choses. Pour une attention plus diffuse au temps. Pour une lucidité rêveuse.
Un peu comme Quignard qui avec son « Dernier Royaume » a inventé presque un genre à lui (fragments d’érudition), Pontalis, avec tous ces livres « littéraires » empruntent une forme commune : ensemble de chapitres de peu de pages, liés ensemble par un courant profond, souterrain, rejaillissant de temps à autre, mais nous emportant toujours, avec un grand délice le long de cette dérive.
Scintillation (2011)
John Burnside
Un livre de poète, un livre dont les personnages, les scènes restent le point principal d’intérêt, quand le mystère de la disparition des enfants reste dans le fond secondaire.
A vrai dire, peut-être ai-je mal lu ce livre splendide, mal compris le dénouement mystérieux, et qu’à cela ne tienne : j’espère seulement garder en moi ces atmosphères.
La blonde et le bunker (2012)
Jakuta Alikavazovic
Il y a un bel éclat platine sur cette quête d’une collection d’art introuvable évoquée de loin en loin (collezione Castiglioni ?), qui nous transporte de note de bas de page en historiens perdus. Un éclat artificiel, donc, un éclat où le soleil n’a pas de prise, où seul le néon rend à cette beauté sa complète froideur métallique.
La blonde et le bunker est un livre qui n’est pas : il n’est pas une enquête sur une collection perdu, comme il n’est pas une histoire d’amour. C’est un livre qui s’enfuit. Un livre qui se perd. Ce qui se joue tient sûrement à un frisson métafictionnel et à ce souffle d’Eurydice sur la nuque d’Orphée disant : tout cela est vain, laisse-moi à oubli, laisse-moi à l’impossible. Drôle d’histoire de deuil à travers l’histoire de l’art et l’histoire d’amour.
A lire et lire tout Jakuta Alikavazovic qui rentre dans mon panthéon contemporain.
La femme qui tremble (2013)
Siri Hustvedt
Je me suis fait avoir : je croyais lire un récit autobiographique, une enquête sur la dissociation nerveuse approfondie en parcours de vie. Mais en vérité ce livre est un « essai » sur la neurologie et la neuropsychiatrie contemporaine et un aperçu de ses perplexités face à cette question de l’hystérie où le « mindbody problem » ressurgit de manière incompréhensible.
« Qui est cette femme en moi qui tremble de manière incontrôlée lorsque je prends la parole en public – parole qui reste assurée tandis que tout mon corps est agité de convulsion ? » De l’anecdote de vie de Siri Hustvedt, on passe rapidement à un catalogue des expériences et des théories de la neurologie (passées autant que présentes). On ne retrouve que trop rarement le fil émotionnel, personnel, de la situation de base.
La composition des mondes (2014)
Pierre Charbonnier et Philippe Descola
Par-delà Nature et Culture, origine, suite et poursuite.
Entretien de Descola par Pierre Charbonnier, Descola revient dans ce livre sur son parcours intellectuel, sur l’anthropologie structurale et comment elle s’est construite, comment il l’a reprise comme méthode. On a aussi les dessous de ses missions en Amazonie, les échos des partitions totémisme/animisme/naturalisme posé dans Par-delà Nature et Culture rappelés, déployés.
En fait, plus qu’un entretien, c’est, entre les lignes, une biographie intellectuelle extrêmement intéressante, poursuivant les débats actuels sur l’ethnographie, engageant à une réforme de notre point de vue sur le monde. Car la dernière partie nous ouvre à une prise en charge politique complexe où la situation des acteurs locaux ne se résument pas à un partis pris naïf pour la préservation de la nature, ni en une tentation de nier le naturalisme, mais en une considération où il faut sauver la relation ténue dans notre temps occidental entre les individus et les non-humains.
Enquête sur les modes d’existence (2012)
Bruno Latour
Bruno Latour restitue son enquête en ligne sur une ligne à fois proche et opposée à Descola (le livre d’entretien de Descola pointe ces différences).
Le projet de Latour est ambitieux, il l’explique au début, et long, et compliqué. Après le charme intellectuel du Descola, c’est dur.
L’enquête est disponible en ligne : http://modesofexistence.org/
Urbik/Orbik (2011)
Lorris Murail
Texte monté en pièce de théâtre par la Compagnie lyonnaise Haut et Court (qui adapte aussi Volodine), ce pur pastiche de Philip K Dick est écrit comme une courte nouvelle.
Ici un pseudo-Dick et son associé sont détenus pour avoir déstabilisé le réel en créant des « micro-worlds » (déjà évoqués dans une nouvelle de Dick) : le « Juridik » a placé l’associé en caisson de semi-vie (coucou Ubik), tandis que l’écrivain génial est placé dans un appartement où il se débat avec la Pharmoire (armoire à pharmacie, donc) pour obtenir des amphét entre deux conversations avec la Bouilloire et un passage de son ex-femme dont il est encore amoureux. C’est… Enfin. Cela restitue assez des thèmes de Dick, mais ce n’est pas non plus éblouissant.
Topaze et autres nouvelles (2005)
Ryu Murakami
« Tokyo decadence » de Murakami s’inspire de ces nouvelles. Certes. Mais on vit ici de l’intérieur de la psyché de ces prostituées spéciales, on vit aussi les errances, les épiphanies simples, et au-delà des bizarreries un sens très spécial de la délicatesses (ce que le film disons survole un peu, non ?).
Brûlées (2018)
Ariadna Castellarnau
Ma passion pour ce livre s’est mué en chronique enflammée.
« Feu la cendre », disait Jackie D. (D for Derrida). Il y a dans ce premier livre traduit (Argentine) d’Ariadna Castellarnau, non pas un « réalisme magique » mais quelque chose comme un cauchemar réaliste, sous-tendu par une flamme mystérieuse, flammes qui peut-être ont ravagé le monde connu.
Frayer avec l’inconnu, avec la langue, avec le surnaturel des passions, c’est ce que l’on fait dans ce livre tissé de ces sortes de nouvelles trouvant in fine leur cohérence (leur coalescence ?).
A lire avec Ce que nous avons perdu dans le feu (éditions du Sous-Sol) de Marianna Enriquez qui signe aussi une très courte introduction.
La Presqu’île (1970)
Julien Gracq
Lu il y a longtemps, une recommandation d’un libraire d’un soir m’a donné envie de relire « Le Roi Cophetua », la dernière des nouvelles de La Presqu’île, mais aussi la plus fantastique, synthèse de l’art gracquien où les ombres du Graal, l’onirisme en pleine forêt et la femme énigmatique sont convoqués.
Je m’étonne de n’avoir pas été marqué par cette histoire à l’époque de ma première lecture. Mais ma seconde lecture me laisse non l’impression d’un condensé de Gracq, de son œuvre, mais plutôt une répétition, un mélange – ô combien réussi – mais qui manque aussi à mes yeux d’une substance propre. Reste cette langue incroyablement, indéfiniment belle, et cette séquence finale d’Albertine endormie, absolument fabuleuse.
William Blake. Les dessins pour la Divine Comédie de Dante (2014)
Bon, je ne l’ai pas lu en Taschen, mais dans une vieille édition de bibliothèque.
Ces aquarelles (esquisses pour la plupart) donnent à voir à la fois la divine comédie, mais surtout la vision particulière qu’en a Blake, opposé parfois au jugement de Dante. Car Blake rejetterait bien dans l’Enfer tous ces matérialistes anciens dont Dante, fort de sa culture classique, affectionnait.
Blake dessine mal, hiératique, avec cette naïveté de grand mystique, mais dans ce qu’il y a de plus grotesque se trouve une éloquence particulière, tandis que la force des couleurs réussissent souvent à enlever toute la composition. Ainsi malgré quelques hideurs, des attitudes compassées de Virgile et de Dante, on s’étonne des choix, et on relit certains vers avec une joie qui dépasse tout ce que peut le poète-dessinateur pouvait nous proposer.
On constate bien sûr que les trois quarts des dessins concernent l’Enfer, une poignée sur le Purgatoire (avec des réussites), et quelques lambeaux pour le Paradis.
Variations nocturnes (2008)
Olivier Schefer
Ce mince volume de chez Vrin, éditeur philosophique, est davantage un fragmentaire de ce qui pourrait être un essai sur le somnambulisme, sur ces corps hantés par le sommeil impossible, qu’un véritable opus construit avec un art consommé de la dialectique.
Cela pourrait donner un style Dormeur éveillé à la Pontalis, mais moins la fluidité, mais plus le côté compulsif, obsessif, qui permet de balayer pas mal des figures de la littérature, du cinéma, voire de la philosophie.
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Image de couverture : ciel ciel ciel d’une banque d’image.
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