La nuit est encore jeune (Catastrophe)

La nuit est encore jeune, Catastrophe (Collectif), Pauvert, 2017

 

La nuit est régénératrice.

La nuit a une fin.

La catastrophe est un bouleversement grâce auquel il faut savoir se recomposer.

Ce sont les trois lignes de fuite que l’on peut imaginer après avoir su ce texte « collectif » – bien que largement bicéphale (Blandine Rinkel, Pierre Jouan) – s’illustrant déjà en musique avant d’en passer maintenant à l’écriture.

Ce texte – mélange indiscipliné d’essai et de souvenirs, de mélancolie et d’espérance – se veut celui d’une génération, largement Y, un peu Z, dont la situation intellectuelle se cherche horizontalement, dans les réseaux, dans les nuits parallèles comme « une communauté d’incertitudes, dont le seul point commun est la reconnaissance de leur point aveugle. » Dixit.

Se refusant à être manifeste, porte-voix, il choisit de se donner en 66 chapitres en format de compte-à-rebours (66, 65…). Compte-à-rebours avant quoi ? la nuit ? le recommencement ? Ces 66 chapitres inconstants parlent de la situation d’être jeune en notre temps, avec au cœur une absence d’horizon qui – au contraire de ce que prônerait une forme d’essai, de manifeste – ne propose pas un « dépassement », un nouveau possible, d’un bloc, mais, accepte, embrasse cette fragmentation contemporaine, pour chanter peut-être (j’imagine) à nouveau avec Pindare : « Ô mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible ! »

Plus de mot d’ordre : une constellation de virtualités. C’est ce que l’on peut lire au fil des pages, cette liberté d’être tout. A l’heure du jugement généralisé, le texte incite à oser, malgré tout, à exprimer ses sentiments, même romantiques, ses réflexions, même naïves. Et voilà ce qui ressort de ces chapitres : un grand appel salvateur à l’innocence – quand on pourrait être tenté d’en faire une lecture professorale sourcilleuse de tant de légèreté.

Comme il est tentant d’être dévoré par  l’esprit de sérieux, soulignant ici les approximations, là les faiblesses du raisonnement, ici le manque d’esprit critique et de prise de position, là une construction dialectique peu convaincante, ici du Baudrillard light, là du Toledo sans souffle.

On en voudrait plus.

On ne voudrait pas effleurer de l’aile comme un papillon des thèmes aussi essentiels de notre contemporain en oubliant toute la réflexion menée par ailleurs : on voudrait que la « catastrophe » soit lue avec Catherine Malabou (depuis La contre-allée jusqu’à L’ontologie de l’accident), que cette catastrophe n’oublie pas la « barbarie qui vient » avec Isabelle Stengers, ou « l’équivalence des catastrophes » soulignée par Jean-Luc Nancy. On voudrait que cette « catastrophe » sublimée, qui fait le nom et l’enseigne de ce collectif dont la conscience du terrible est née dans l’effondrement des Twin Towers, approfondisse les temps plus longs, et intègre encore davantage l’écologie comme la pensée critique de notre temps.

On voudrait aussi que la nuit soit pas simplement jeune, cette promesse lumineuse, faite de fêtes et de faîtes, mais – aussi – des abîmes du ciel (vive Bataille), d’un cosmos noir, ralenti et froid (vive la cosmologie), du pollen des fleurs à venir (vive SF Novalis), de la nuit « effroyablement ancienne », le chaos, le mystère (vive Yog Sothoth). On voudrait que la nuit soit ouverte à l’autre nuit (vive Blanchot), au-delà de cette « tentation contemporaine » à la disparition que David Le Breton analysait dans son essai (Metailié, 2015). Que cette nuit soit affirmation et disparition.

On voudrait que ce livre tournant de manière répétée, fascinée comme la phalène autour d’un brûlant « temps de la fin » aille dans la nuit lire Le dénouement de Lionel Ruffel pour voir que ce temps se noue et se dénoue de nouvelles façons. Qu’à la hantise d’un temps de la fin déjà déconstruit par Derrida dans « Fins de l’homme » (Marges de la philosophie), on préfère tenter, difficilement, de Recommencer avec Mathieu Potte-Bonneville.

Cependant, on lit mal quand on lit seulement ainsi, soulignant les manques, lisant un autre texte – son propre sous-texte – dans le texte, oubliant toute la beauté de ce mouvement : cette fragilité délicate, ces douceurs nocturnes qui certes n’atteignent pas l’incandescence du Comité invisible, ni l’acidité de Baudoin de Baudinat mais déploient leur propre sensibilité. La nuit est encore jeune est un texte plus léger, toujours plus léger, s’envolant probablement vers cette lune portée sur la couverture.

Il faut toujours se faire violence pour lire plus doucement, plus légèrement, avec plus de joie, rehaussant tout ce qui mérite d’être porté haut, comme cette maxime superbe inscrite dans ce livre :

« La nuance est l’avenir des hommes »

Cette maxime est précieuse, elle est à inscrire dans les circonvolutions de notre pensée. « De la nuance avant toute chose », oui, soyons verlainiens. La nuance est à préserver, une réalité dilatée, même si l’on voit que la nuance se disperse aussi en contre-vérités, en leurres problématiques, la nuance est l’avenir des humains, et ce, même si les humains sont une espèce mauvaise dont la Terre est malade.

Malgré tout, encore une fois, oui, encore une fois : la nuit est encore jeune, et la nuance est l’avenir des humains.

 

 

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