Ici la présentation de l’ouvrage.
D’où vient ce projet de livre ?
Sûrement que ce livre, même s’il ne vient pas de nulle part, s’origine de manière volontaire dans ce nulle part, dans un mouvement qui cherche non à se déployer – comme un projet, objet de la dialectique – mais à disséminer, à se disséminer dans tous les sens, erratiquement, comme le pollen. S’il y a une origine on peut dire que c’était le souhait que Blandine Volochot refuse l’assignation à son origine, à la pensée de ses auteurs : Blanchot, Volodine ou Raphmaj. Ainsi il y a à l’œuvre cette volonté de rendre inassignable Blandine Volochot, inoriginaire en elle-même : c’est pour cela que Blandine Volochot « tombe du ciel », telle une météorite, telle une horreur tombée du ciel, porteuse de vie et porteuse de mort. Elle arrive. Elle survient, comme de l’inattendu, de l’inespéré, de l’inconnu, et qu’importe sa trajectoire. C’est son impact et sa dispersion qui nous occupe (ainsi que son devenir).
Ce que l’on a toujours envie de faire comme lecteur – cette volonté de savoir, de lier un livre à un projet, à des sources, à des origines – se trouve je crois compliqué par le mouvement de ce livre. Ce mouvement de regard en arrière sur les origines est ici nécessairement le « regard d’Orphée » vers Eurydice : celui qui le perd en la trouvant, qui la fait apparaître, disparaissant, et de ce point aveugle, on ne peut rien dire, c’est un trou noir déterminant l’œuvre. Un trou noir qui se déplace comme l’écrivait lui-même Blanchot.
Il n’y a, comme origine que cela, à la limite, ce regard aveugle, ce désœuvrement, cet hymne à la nuit deux fois répété. Ce n’est pas, encore une fois, affirmer qu’il n’y a pas d’origine à ce texte, qu’il s’inventerait de lui-même, les mots étant considérés comme de petites machines s’autoréplicant à l’infini – c’est que le texte se veut translation, ou plutôt se veut une différence, un jeu de différences par rapport à ses origines (ses multiples origines). Ce texte se veut vitesse et vitesse de libération qui le placera peut-être toujours en orbite de son origine, satellite merveilleux, mais peut-être pas, alors que vive cette incertitude car je l’aime, comme j’aime Blandine Volochot, incontestablement.
Comment définiriez-vous le genre de ce livre ?
Si l’on pose la question c’est que le texte introduit une incertitude, si ce n’est un trouble. Ce n’est pas qu’il y ait une recherche de déstabilisation, de subversion de la critique et de la fiction, mais plutôt la prise en considération que l’écriture traverse et transforme toujours ces catégories. Ce que l’on pourrait appeler le mouvement de la latérature.
S’il y a tant de changement de formes dans le texte, tant d’ultramorphoses et d’hypomorphoses, tant de jeu, c’est bien pour glisser entre les genres : poésie, essai, conte philosophique, transduction littéraire, et quoi encore ? A travers leur frontière poreuse Blandine Volochot circule et produit j’espère de nouvelles harmonies. Parfois des discordances et des cris aussi. En tout cas, je crois qu’un des soucis était celui-ci, de brouiller le jeu de reconnaissance, sans pour autant verser dans la satire, dans le mélange informe ou la fantaisie critique. Rien du Toltoïevski de Pierre Bayard par exemple.
Pourtant, quelque part, il y a quelque chose qui domine à travers ces grands découpages, ces unités, ces chants, ces parties, c’est quelque chose s’apparentant à la poésie. Peut-être parce que la poésie est étrangère – j’ai envie de couper là : la poésie est étrangère, c’est une belle définition – la poésie est étrangère à Blanchot comme à Volodine, même si chacun a un rapport intense à la langue, à la littérature, et qu’on peut certainement qualifier leur langue et certains de leur projet de poétiques (Thomas l’Obscur, ou Haïkus de prison par exemple) il n’y a pas à l’œuvre la déstructuration radicale à l’œuvre dans la poésie, l’effusion du signifié, ce à quoi, je crois, s’affronte follement ce livre où il y a beaucoup d’inconscience. Je crois que c’est toujours ça que j’ai senti comme mon malaise d’écriture : l’idée d’être un « poète en littérature », donc jamais à ma place ni dans le récit, ni dans la poésie. L’appellation de « chants » était une manière de porter le défi de s’affronter à Maldoror et Zarathoustra à la fois qui m’ont aidé à m’enorgueillir car il faut un orgueil absolument fou pour prétendre écrire.
Vous écrivez des critiques littéraires sur votre blog et dans la revue Diacritik, et Blandine Volochot est une sorte de critique littéraire, comment envisagez-vous la relation entre critique et écriture, critique et création ?
Cf supra…
Longtemps la critique m’a interrogée comme elle l’a fait pour Blanchot. Et pourtant il me semble pas qu’on puisse totalement assimiler Blandine Volochot à une post-critique créatrice, à une pop’critique comme il y a une pop’philosophie. Blandine Volochot n’est ni un ouvrage de critique, ni un ouvrage de théorie, ni d’ailleurs une fable qui illustrerait les points de convergence entre Blanchot et Volodine, mais plutôt la saisie, à partir de ces conjonctions incroyables et irréductibles à des motifs ou à des thèmes, des lignes de fuite qui s’en échappent. Comme deux étoiles qui collisionnent et qui libèrent des radiations, des gaz, constituent les éléments primordiaux pour des systèmes à venir : ce ne sont pas les lignes de fuite droites de la perspective renaissante, mais ce sont les trajectoires que formes des rêves, les fusions spatiales, les arabesques des nébuleuses, les errances d’abeilles stellaires ivres de rayonnements gamma, de vie et de mort quantiquement perturbées dans l’espace littéraire : ça vrille, zigzague, ça repart et se transforme.